Une Souris Verte

C’était une de ces journées tranquilles où le soleil caressait doucement la terre, et où l’air était si doux qu’il semblait inciter à la paresse. Je me baladais sans but précis, mon appareil photo à la main, à l’affût de la moindre occasion de capturer un instant fugace de la nature. Je n’avais pas d’idée particulière en tête, simplement l’envie de photographier ce que la journée aurait à m’offrir. C’est alors que mon attention fut attirée par un mouvement furtif dans l’herbe. Un chat, au pelage tigré et l’air concentré, semblait jouer à quelque chose que je n’avais pas encore remarqué. Curieux et, il faut l’avouer, un amoureux des félins invétéré, je me suis approché doucement, pensant que le chat jouait tout simplement.

Il est facile d’oublier à quel point les chats, même domestiqués, restent avant tout des chasseurs. Leur nature féline ne disparaît jamais complètement, et malgré leur air détendu et paresseux la plupart du temps, ils sont toujours en alerte, prêts à traquer la moindre petite créature qui croiserait leur chemin. Pourtant, à cet instant, je ne pensais qu’à une chose : caresser ce chat qui me semblait si adorable, ignorant totalement ce qui se passait sous ses pattes. Je m’accroupis, m’installant en tailleur sur l’herbe, espérant que ce compagnon félin viendrait me rejoindre pour quelques caresses.

Mais c’est à ce moment-là que je vis quelque chose qui attira toute mon attention. Une petite tête grise, timide et nerveuse, sortit de l’herbe juste à côté du chat. Ce n’était pas un simple jeu pour le félin : c’était une chasse. Cette petite tête appartenait à une souris, une minuscule créature aux mouvements rapides et saccadés, essayant désespérément de se faire la plus discrète possible. Le chat, lui, semblait l’avoir coincée dans un piège silencieux, jouant avec elle comme un prédateur naturel, sans précipitation mais avec une efficacité redoutable.

Soudain, tout devint clair. Ce que je prenais pour un jeu innocent était en réalité un drame en plein déroulement, et je venais probablement de perturber la scène en m’interposant dans ce qui aurait dû être la conclusion inévitable d’une chasse féline. La souris, fragile et vulnérable, semblait suspendue entre la vie et la mort. Ses petites oreilles vibraient nerveusement, et ses yeux, vifs et noirs, scrutaient les environs, cherchant désespérément une issue à cette situation périlleuse.

Le chat, de son côté, se détourna de sa proie, semblant soudain bien plus intéressé par ma présence que par la souris qu’il poursuivait quelques instants plus tôt. Peut-être que les caresses promises avaient plus de valeur que ce petit repas improvisé. Sans trop insister, il vint se frotter contre mes jambes, ronronnant doucement, oubliant totalement la souris qui, de son côté, avait bien compris qu’elle n’aurait probablement pas de deuxième chance.

La petite souris, en un éclair, prit la décision qui lui sauverait la vie. Bondissant hors de l’herbe avec une vitesse surprenante, elle courut se réfugier ailleurs, loin des griffes du chat et de l’attention bienveillante mais perturbatrice que je lui accordais. Ce fut un moment de tension qui s’évanouit aussi vite qu’il était apparu. La souris avait réussi à s’échapper, et je pouvais presque sentir son soulagement, même si je ne la reverrais plus.

Quant au chat, il ne sembla pas affecté le moins du monde par cette fuite. Peut-être savait-il qu’il aurait une autre occasion, ou peut-être que l’idée d’un festin improvisé n’était finalement pas si tentante. Son ventre rond trahissait qu’il n’était certainement pas affamé. Il préféra se concentrer sur ce qu’il semblait considérer comme un prix bien plus précieux : mes caresses. Allongé à mes pieds, il ronronnait avec satisfaction, savourant le moment, comme s’il avait déjà oublié la chasse qu’il avait menée quelques instants plus tôt.

Pour moi, cette petite aventure a pris une signification inattendue. J’étais venu avec l’intention de photographier un peu de nature, espérant peut-être capturer des oiseaux, des fleurs, ou même un insecte au passage. Mais ce fut cette scène entre le chat et la souris, cette interaction pleine de tension et de suspense, qui devint le véritable point culminant de la journée. J’avais presque oublié l’appareil photo pendant toute cette séquence, tant j’étais absorbé par l’instant.

Le plus ironique dans cette histoire, c’est que je n’ai jamais réussi à capturer de manière satisfaisante une photographie de cette petite souris. Elle avait été trop rapide, trop furtive, et à la fois trop vulnérable pour que je puisse sortir mon appareil et immortaliser l’instant. Peut-être est-ce mieux ainsi. Parfois, les moments les plus mémorables sont ceux qui échappent à l’objectif, ceux qui restent gravés dans notre mémoire plus que sur une pellicule.

Ce n’est pas la première fois que je me rends compte à quel point la photographie animalière peut être un exercice de patience, et parfois de chance. Chaque photo est le fruit d’un moment de rencontre avec le vivant, mais il y a des instants où l’histoire dépasse l’image. Cette petite souris, qui s’enfuit en courant, échappant aux griffes du chat, reste pour moi un souvenir précieux. Une scène où la nature, dans toute sa simplicité et sa brutalité, m’a rappelé que la vie sauvage, même à petite échelle, est pleine de surprises.

Alors, même si je n’ai pas réussi à capturer l’image que j’espérais ce jour-là, je garde en tête cette petite victoire : la souris, contre toute attente, avait réussi à tromper le prédateur. Et le chat, satisfait de ses caresses, avait laissé passer une opportunité, peut-être sans s’en soucier. Une histoire qui, pour moi, reste une leçon de simplicité et de sérénité dans l’observation du monde naturel.