Chevreuil des Indres II

Nous étions donc dans cette petite zone que je connaissais bien, et que j’avais hâte de montrer à mon frère. C’était un endroit chargé de souvenirs, de moments passés à observer les animaux et à capturer ces instants fugaces qui peuplent les coins reculés de la nature. Mais ce jour-là, je me souvenais particulièrement d’une découverte faite l’année précédente : des ossements de chevreuil, blanchis par le temps, gisant quelque part non loin de là. Sans grand espoir, je m’étais mis en tête de les retrouver. Je n’étais pas sûr de ce que je ferais si je les retrouvais, peut-être les laisser là, afin d’éviter de m’encombrer de quelque chose de trop morbide. Mais l’idée de vérifier leur présence me titillait tout de même.

En remontant les chemins, nos pas crissant dans la boue et les feuilles mortes, nous avons aperçu des rapaces au loin. Ils fondaient des cieux comme des flèches, plongeant vers le sol avec une précision effrayante. Probablement, un malheureux lièvre était devenu leur cible. Le spectacle, bien que tragique pour leur proie, avait quelque chose de majestueux. Les ailes immenses battant l’air, l’efficacité silencieuse de leur attaque… La nature, dans sa beauté cruelle.

Alors que nous continuions à avancer, scrutant tantôt le ciel, tantôt les buissons à la recherche des ossements, un chevreuil est soudain apparu dans notre champ de vision. Il nous tournait le dos, marchant lentement, peut-être inconscient de notre présence à cet instant. Puis, soudainement, il a commencé à courir. Avait-il senti quelque chose ? Était-il alerté par un bruit ou une odeur que nous n’avions pas perçus ? Les chevreuils sont des créatures d’une extrême sensibilité, réagissant au moindre signe d’un danger potentiel.

Tandis que j’étais encore concentré sur ma quête des ossements, mes yeux rivés sur le sol, c’est mon frère qui m’a soudain interpellé. « Regarde, un chevreuil juste devant nous ! » Je lève les yeux, et effectivement, le chevreuil se trouvait là, à quelques mètres de nous. Il n’avait pas attendu que nous le surprenions davantage. D’un bond léger, il a repris son trot, nous offrant un spectacle que peu d’humains ont la chance de voir de si près.

Le chevreuil se déplaçait avec une grâce et une agilité presque irréelles, ses bonds le projetant parfois sur plusieurs mètres d’un seul mouvement fluide. Par moments, il disparaissait dans la mer jaune des champs de colza, avant de réapparaître plus loin, toujours en mouvement, sa silhouette se découpant contre le ciel. C’était comme s’il appartenait à une autre dimension, à la fois ancré dans ce paysage et insaisissable, libre et insouciant.

Le cadre autour de nous semblait taillé sur mesure pour ce moment précis : cette terre en friche, encore sauvage, avec les touches éclatantes du colza en arrière-plan. Ce champ de jaune lumineux, presque irréel sous la lumière douce de l’après-midi, formait un décor idyllique pour cette rencontre. Chaque bond du chevreuil, chaque passage dans les hautes herbes, créait une nouvelle image, un tableau en constante évolution, digne d’être immortalisé.

C’était un de ces instants suspendus, où le temps semble ralentir, où chaque détail prend une importance presque solennelle. La beauté du mouvement du chevreuil, la douceur du paysage, et la complicité silencieuse entre mon frère et moi, témoins privilégiés de cette scène éphémère. Ce n’était pas simplement une balade ou une promenade dans la nature. C’était une immersion totale dans ce que la nature a de plus pur à offrir : ces moments rares où l’on est à la fois spectateur et acteur d’un spectacle sauvage, où l’on se sent connecté à quelque chose de bien plus grand que soi.

Ce souvenir s’inscrit désormais dans mes pensées, tout comme la photographie que j’en ai tirée, ce « Chevreuil des Indes II », qui capture non seulement la beauté de cet animal, mais aussi l’émotion de cet instant partagé. Un moment qui restera gravé, non seulement sur le papier photo, mais aussi dans l’âme. Une preuve que, même lors des sorties les plus anodines, la nature a toujours des trésors à offrir à ceux qui savent ouvrir les yeux et tendre l’oreille.

UGS : 1998-129
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