Highlands de La Vraie-Croix

C’était un de ces soirs calmes, où la simplicité d’un repas – quelques tartines de beurre – apporte un moment de répit bienvenu. Assis à table, je savourais ma soirée sans imaginer que mon beau-père, toujours source d’anecdotes inattendues, allait me parler d’un endroit que je n’avais pas encore découvert. Un lieu, situé à La Vraie-Croix, qui, selon ses dires, abritait des créatures peu ordinaires : des vaches Islandaises. J’avais entendu parler de cette race, célèbre dans les pays anglo-saxons pour leur beauté rustique et leur allure singulière, mais je n’en avais jamais photographié. Aussitôt l’idée plantée dans mon esprit, je savais que je devais m’y rendre.

Le lendemain matin, enthousiaste et curieux, je pris tout mon matériel de photographie et me mis en route. Le ciel était d’un bleu limpide, parfait pour une sortie en pleine nature. L’idée de photographier ces fameux bovins Islandais m’animait. En tant que photographe d’animaux, je ne peux résister à l’appel d’une nouvelle rencontre, surtout lorsque l’on me parle de créatures à la fois majestueuses et rares dans nos contrées.

En arrivant sur place, avant même de croiser le troupeau tant attendu, la nature me réserva ses premiers cadeaux. Tout d’abord, des chèvres. Elles étaient là, perchées sur de petits monticules, me regardant passer d’un œil curieux mais détaché, comme si elles jaugeaient cet intrus venu troubler leur matinée. Leur présence, simple et familière, ajoutait à l’ambiance paisible du lieu. Puis, un petit chien de garde fit son apparition. À la manière d’un vrai gentleman de la campagne, il trottinait à mes côtés, sans aboyer ni faire mine d’alerter qui que ce soit de ma présence. Juste une sorte de compagnon silencieux, escortant l’inconnu que j’étais à travers ces champs.

Puis vint le moment tant attendu. Alors que je traversais un dernier virage, elles étaient là, ces vaches Islandaises, majestueuses, étendues sous les quelques arbres qui parsemaient les pâturages. Dès que je posai les yeux sur elles, je compris pourquoi elles étaient si prisées dans les pays anglais. Leur allure était à la fois imposante et apaisante. Leurs longs poils épais, parfois bouclés, retombaient en vagues sur leurs yeux, leur donnant un air mystique, presque antique. Elles semblaient tout droit sorties d’un autre temps, d’une autre contrée.

Mon esprit de photographe s’anima aussitôt. J’avais une idée bien précise de la photographie que je voulais capturer : un gros plan, extrêmement rapproché, qui mettrait en valeur leur museau large et leur frange bouclée tombant juste au-dessus de leurs yeux. Une de ces photos où l’on capte l’essence de l’animal, où le visage devient une véritable icône, une rencontre directe et intime. Mais rapidement, je compris que la réalité allait s’avérer plus complexe. Les vaches, bien que paisibles, étaient postées à une distance qui rendait mon projet initial impossible à réaliser.

Plutôt que de me laisser décourager, je pris un moment pour observer. L’une des Islandaises, couchée à l’ombre d’un arbre solitaire, attira mon attention. Elle était là, parfaitement immobile, me faisant face sans vraiment prêter attention à ma présence. Il émanait d’elle une sérénité profonde, presque désarmante. L’atmosphère autour d’elle semblait figée, comme si le temps s’était ralenti. Son pelage, d’un roux flamboyant, contrastait magnifiquement avec la fraîcheur de l’ombre sous laquelle elle se reposait. Il y avait dans cette scène une harmonie, une simplicité qui rendait toute tentative de composition superflue.

Je me dis alors que cette image, bien différente de celle que j’avais initialement en tête, pourrait capturer quelque chose d’encore plus profond. Ce calme imperturbable, cette sensation de paix qui émanait d’elle, c’était cela que je voulais figer dans mon appareil. En tant que photographe animalier, l’essence de notre métier ne réside pas toujours dans la réalisation de l’idée précise que l’on avait en tête, mais dans la capacité à s’adapter, à voir la beauté là où elle se trouve, parfois de manière inattendue.

Je stabilisai donc mon appareil, ajustai le cadrage pour inclure à la fois la vache et l’arbre sous lequel elle s’était posée. Je pris plusieurs clichés, cherchant à capturer cette atmosphère particulière, ce moment suspendu. À travers l’objectif, chaque détail prenait vie : la texture épaisse de son pelage, la douceur de son regard, l’ombre délicate projetée par les feuilles au-dessus de sa tête.

En prenant cette photographie, je savais que j’immortalisais bien plus qu’un simple portrait de vache. Il y avait là une émotion, une tranquillité presque méditative. La vache Islandaise semblait indifférente au monde extérieur, comme si elle appartenait à une réalité parallèle, loin du tumulte de nos vies modernes.

Lorsque je me suis éloigné, laissant derrière moi ce petit coin de campagne paisible, je réalisai que cette sortie n’était pas seulement l’occasion de photographier une espèce rare. C’était un moment où la nature, dans sa simplicité et son authenticité, avait su m’enseigner une nouvelle leçon. Les meilleures photos ne sont pas toujours celles que l’on avait prévues. Elles sont souvent celles qui nous surprennent, qui nous rappellent que la beauté se trouve parfois dans l’inattendu, dans le calme silencieux d’une vache Islandaise, couchée sous un arbre, indifférente à tout ce qui l’entoure.

Et c’est ainsi que cette photographie, bien différente de celle que j’avais en tête, est née.

UGS : 1998-144
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