Mouette (vraiment) Rieuse

Il est vrai qu’en regardant cette photographie, la question se pose : la Mouette Rieuse mérite-t-elle vraiment ce nom ? Son plumage, blanc immaculé avec une tête sombre, lui confère un air plutôt élégant, presque sérieux. Mais dès que l’on entend son cri, ce doute s’éclipse rapidement. Ce cri, perçant et sonore, a quelque chose de moqueur, comme une plaisanterie lancée au vent. Peut-être est-ce là l’origine de son nom. Un rire aigu qui résonne, insaisissable, dans les airs.

Quoi qu’il en soit, ces oiseaux semblent bien avoir de quoi rire. En ville, notamment dans des endroits comme Saint-Malo, ils règnent sans partage sur le ciel, souvent en compagnie de leurs alliés naturels : les goélands. Ensemble, ils forment une équipe redoutable, des bandits aériens en quête de nourriture. Pour ceux qui n’ont jamais eu affaire à eux, ces oiseaux peuvent sembler inoffensifs, mais les habitués des bords de mer savent qu’il est prudent de garder ses affaires à l’œil. Et, surtout, de bien dissimuler son sandwich. Car sinon, vous risquez de voir un goéland fondre sur vous, toutes serres dehors, tandis que la Mouette Rieuse, en spectatrice espiègle, semble se réjouir de votre inattention.

Ces scènes sont fréquentes dans les villes côtières, et j’en ai moi-même été témoin à de nombreuses reprises. Il y a quelques étés, j’ai assisté à un spectacle tout à fait mémorable. Sur les remparts de Saint-Malo, alors que les visiteurs se pressaient pour admirer la mer, un touriste, sans méfiance, s’était installé avec son déjeuner face à l’horizon. Un sandwich, soigneusement emballé, prêt à être dégusté. Tout semblait paisible. Mais c’était sans compter sur la vigilance des goélands, toujours à l’affût de la moindre opportunité. D’un seul coup, un goéland a plongé. En une fraction de seconde, il a attrapé le sandwich et s’est envolé, laissant le touriste médusé, son déjeuner réduit à néant. Le plus surprenant dans cette scène n’était pas tant l’agilité du goéland que la réaction des spectateurs. Tout le monde, des badauds aux forces de l’ordre présentes, éclatait de rire, impuissant face à ce « vol à l’arraché ».

Et bien sûr, quelque part au-dessus, planait une Mouette Rieuse, comme pour ponctuer la scène de son rire moqueur. C’est peut-être là la véritable nature de cette mouette : elle semble se nourrir des petits drames quotidiens que les humains vivent à proximité de la mer. À chaque fois que l’un d’entre nous se fait prendre de court par l’intelligence tactique des goélands, la Mouette Rieuse est là, en complice invisible, riant à gorge déployée.

Ce genre de moments en disent long sur ces oiseaux que l’on croise souvent sans vraiment les regarder. Les goélands et les mouettes, bien que parfois agaçants, sont de véritables stratèges. Leur capacité à coexister avec nous, à tirer parti de nos habitudes et à en faire un jeu, est fascinante. Ils ont appris à naviguer dans nos villes comme ils le feraient avec les vents marins, et il n’est pas rare de voir des scènes de la vie urbaine littorale où ils sont les véritables maîtres du jeu.

Pour un photographe animalier, ces moments sont une mine d’or. Photographier ces oiseaux dans leur environnement urbain, avec leurs comportements audacieux et leurs petites tactiques de survie, est aussi intéressant que de les observer dans des environnements plus sauvages. Car même ici, dans ces villes côtières où la mer rencontre la civilisation, la nature reste souveraine. Les goélands et les mouettes ne sont pas seulement des résidents : ils sont des acteurs à part entière de la scène locale. Ils volent, scrutent, et parfois, comme ce jour-là sur les remparts de Saint-Malo, ils arrachent un sandwich en plein vol sous les rires complices de la foule.

Alors, peut-être que la Mouette Rieuse ne rit pas seulement à cause de son cri. Peut-être rit-elle de nous, de nos maladresses, de notre tendance à oublier qu’elle et ses compagnons sont des voleurs habiles, parfaitement adaptés à leur environnement. Et la prochaine fois que vous serez sur une plage, un sandwich à la main, rappelez-vous que vous êtes peut-être sous surveillance. Les goélands sont rapides, mais la Mouette Rieuse… elle, aura toujours le dernier mot.