Le Phare Môles des Noires

À Saint-Malo, que ce soit au cœur de la ville intra-muros ou sur ses plages balayées par le vent, le paysage regorge de monuments emblématiques : la piscine naturelle avec ses plongeoirs invitant à la baignade, le Fort National planté sur son îlot rocheux, ou encore la tombe solitaire de Chateaubriand sur l’îlot du Grand Bé. Ces lieux attirent inévitablement les regards des visiteurs. Mais en marge de cette scène historique et touristique, un autre monument, bien plus discret, semble s’effacer peu à peu : le phare du Môle des Noirs.

Il fait pourtant partie intégrante de l’identité de Saint-Malo. Droit et immuable, il veille sur l’entrée du port, témoin silencieux du passage des navires et des siècles. Pourtant, malgré sa présence, il reste en retrait dans les esprits. Est-ce parce que les touristes, happés par les remparts imposants et la majesté des édifices historiques, n’y prêtent pas attention ? Ou est-ce simplement une question de géographie ? Sa position, en effet, au bout de la longue jetée qui s’étire vers la mer, semble l’éloigner des principaux points d’intérêt de la ville. À première vue, il paraît isolé, comme oublié, à l’écart des flux de visiteurs qui se concentrent dans les ruelles animées ou sur les plages animées par le va-et-vient des vagues.

Mais à mes yeux, c’est justement cette distance qui lui confère tout son charme. Depuis la jetée du Môle des Noirs, le panorama est superbe, presque irréel. D’un côté, la mer infinie, avec Dinard à l’horizon, et de l’autre, la silhouette imposante de la ville corsaire qui se découpe sur le ciel. Vue d’ici, Saint-Malo semble plus petite, certes, mais toujours grandiose. Ses remparts, ces murailles qui racontent des siècles d’histoire, semblent moins oppressants, et les bâtiments qui les surplombent paraissent se fondre dans un tableau vivant, où passé et présent cohabitent avec grâce.

Il suffit de quelques pas sur cette jetée pour ressentir l’importance du lieu. En marchant vers le phare, on s’éloigne doucement du tumulte de la ville pour plonger dans une atmosphère plus sereine, bercée par le bruit des vagues et le cri des mouettes. La ville est toujours là, bien présente, mais elle semble s’éloigner, laissant place à la beauté brute de l’océan. C’est là toute la magie de ce lieu : il offre une vue imprenable, un recul bienvenu, où l’on peut contempler Saint-Malo avec une distance qui permet de mieux l’apprécier.

C’est aussi peut-être cela qui fait que le phare du Môle des Noirs est souvent oublié : sa discrétion et cette petite marche nécessaire pour l’atteindre. Il n’a pas la grandeur imposante d’un Fort National ou l’histoire littéraire de la tombe de Chateaubriand, mais il a son propre rôle dans l’histoire de la ville. Et pour ceux qui prennent le temps de s’aventurer jusqu’à lui, le spectacle en vaut la peine.

Lorsque l’on se trouve au pied de ce phare, face à l’immensité de la mer, on comprend qu’il est bien plus qu’un simple élément du décor. Il fait partie de l’essence même de Saint-Malo. Les marins l’ont vu des milliers de fois en rentrant de mer, les habitants le connaissent, même sans toujours s’en souvenir. Il est là, ancré dans le paysage, et bien que son éclat soit aujourd’hui éclipsé par des lieux plus emblématiques, il mérite qu’on lui accorde un moment d’attention.

Alors, si vous avez l’occasion de vous balader à Saint-Malo, je ne peux que vous encourager à emprunter cette petite jetée qui mène au phare. Ce n’est pas la promenade la plus prisée des touristes, mais elle a quelque chose de spécial. En marchant sur ces pierres bordées par la mer, vous découvrirez non seulement un autre visage de la ville, mais aussi une vue imprenable sur ses alentours. Dinard, de l’autre côté de l’estuaire, semble proche et lointaine à la fois, tandis que les remparts, vus depuis la mer, rappellent combien Saint-Malo, avec ses siècles d’histoire, domine encore fièrement les flots.

Le phare du Môle des Noirs fait partie intégrante de cette scène. Peut-être n’est-il pas aussi imposant que les autres monuments, mais il a sa place, discrète mais essentielle. Il incarne cette Saint-Malo plus humble, celle des marins et des vagues, celle que l’on prend le temps de découvrir en s’éloignant un peu du cœur battant de la cité corsaire. Et cette Saint-Malo-là mérite qu’on la contemple, dans toute sa simplicité et sa beauté brute.

UGS : 1998-95
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